L'Enclave des Pérégrins

Le soleil dardait ses premiers rayons sur les Bois des chants éternels. Une douce brise faisait frissonner la surface du Lac. Nechi Pawn s’éveillait dans toute sa splendeur. Soudain l’onde explosa en une gerbe scintillante. La jeune elfe rejeta sa chevelure de feu en arrière, éclaboussant les alentours de millier de gouttelettes étincelantes.
Elle aimait particulièrement cette heure matinale, regarder la Nature s’éveiller et s’étirer doucement après une nuit paisible.
Nue, les cheveux ruisselants dans son dos, de l’eau jusqu’à la taille, elle regardait le soleil se lever, illuminant de rose et d’or l’eau et les l’herbe recouverte de rosée des berges. Sa peau soyeuse, parsemée de minuscules gouttes, scintillait, nimbant son corps d’une aura luminescente. Un léger sourire errait sur ses lèvres comme elle tendait les mains vers l’astre solaire en guise de salut.

Tout à coup, elle fronça les sourcils en détournant son visage vers la rive. Le vent venait de tourner, apportant à ses narines une odeur acre. Un nuage masqua un instant le visage de Nechi Pawn comme résonnait à ses oreilles le cri sinistre d’un oiseau de nuit.
Son regard croisa celui de son félin, un courant passa entre elle et l’animal circulant de l’un à l’autre, la même question leur envahissait l’esprit.
Elle sorti de l’eau soudain mal à l’aise. Nechi Pawn souffrait, elle le savait, l’odeur du sang et de la mort résonnait dans son cœur.

Elle rajusta sa ceinture rituelle en y accrochant ses griffes puis enfila ses vêtements de maille à même la peau. Elle posa la main sur l’encolure de son félin comme pour se rassurer, un mauvais pressentiment lui taraudait les entrailles. Son inquiétude trouva un écho dans le feulement de Dhaalys.

Se fiant à son odorat et son instinct, elle suivit une piste qui traversait la Malbrèche en direction des Terres Fantômes. S’enfonçant dans les Terres elle arriva à proximité d’un lieu connu sous le nom d’Enclave des Pérégrins.
En approchant, elle senti son cœur se serrer doucement, l’odeur de mort se faisait insupportable. Elle marqua un instant d’hésitation, sa main vint instinctivement se poser sur l’encolure de l’esprit –félin. Les doigts enfouis dans la fourrure douce, elle trouva le courage de poursuivre sa route, fermant son cœur et son âme pour les protéger du spectacle qu’elle devinait.

La scène qui s’offrait à elle était encore pire que ce que ses cauchemars les plus sordides pouvaient lui avoir suggéré. Le regard vide de toute émotion, elle contempla le carnage, imperturbable et impuissante. Pourtant, malgré ses efforts, son estomac lui remonta dans la gorge.
Eparpillés dans la zone, une vingtaine de corps gisaient dans la poussière imbibée de sang. Les restes d’une horde de goules finissaient leur décomposition ça et là. Elle approcha lentement des corps mutilés.

Parmi les pérégrins, elle découvrit les restes d’une famille de réfugiés massacrés aveuglement. Un genou en terre, elle se retint de remettre en place une mèche de cheveux qui jouait dans la brise sur le visage livide du cadavre d’une fillette. L’enfant tenait encore à la main une petite poupée de chiffon, dernier rempart impuissant face à la mort qui l’avait fauché. Fouillant les alentours du regard, elle chercha le reste du corps de la petite, et l’aperçut finalement qui gisait a quelques mètres de la.

Elle ferma les yeux comme un haut-le-cœur lui coupait la respiration. Ses ongles s’enfonçaient dans les paumes de ses mains au point que de petites larmes de sang commençaient à perler au creux de ses poings serrés. Elle ne s’en rendait même pas compte. Un long hurlement d’animal blessé déchira le silence. Capricya réalisa que c’était elle qui l’avait poussé quand sa gorge se mit à la brûler. Elle ferma de nouveau les yeux pour tenter d’apaiser son âme, mais rien n’y faisait.

Accroupie elle examina un à un les corps, sans les toucher. Deux des pérégrins attirèrent son attention, ils étaient méconnaissables tant les mutilations sur leur corps étaient importantes. Sans savoir pourquoi, elle s’attarda sur les deux dépouilles, cherchant à comprendre ce qui attisait particulièrement son instinct. Etait ce cette odeur indéfinissable qu’elle n’avait senti nulle part ailleurs, ou bien était ce le fait que les goules semblaient s’être acharné.Elle ne savait le dire.

Elle se laissa tomber assise au milieu du carnage, enroulant ses bras autour de ses jambes, elle posa son front sur le sommet de ses genoux. Ses cheveux encore humides tombèrent autour de sa tête. Elle resta ainsi longtemps, en silence. Dhaalys vint se coucher le long de la jeune chasseresse, s’enroulant autour d’elle d’un geste protecteur, lui apportant tout le réconfort dont elle était capable.

Le soleil était déjà haut quand Capricya trouva la force de lever la tête. Elle passa une main dans ses cheveux en désordre pour dégager son visage. Elle se redressa puis observa une dernière fois la scène. Elle prit lentement le chemin de la cité, son pas monotone résonnait lugubrement dans le petit matin. Nechi Pawn lui sourit paisiblement à travers un rayon de soleil qui filtrait des frondaisons, mais sa chaleur ne toucha pas le cœur de la jeune elfe.
Il ne lui restait maintenant plus qu’une chose à faire. Signaler le massacre aux autorités de Lune d’Argent.